Il est dur de mourir eloigne de sa ville LXI a LXX
Il est dur de mourir éloigné de sa ville,
Mais la mort n’est plus douce à la ville qu’aux champs :
Elle n’épargne pas hors de Rome Rutille,
Ni tel qui sans sortir y fût quatre vingts ans.
LXII.
Bien que l’homme se trouve au dernier point de l’âge,
Qu’en vain son estomac abaye après le pain,
Il ne pense pourtant de trousser son bagage,
Et espère toujours de voir le lendemain.
LXIII.
Veux-tu fuir d’amour l’excès et la manie ?
Romps les occasions, parle toujours de loin,
Sors de la solitude, et vis en compagnie :
Tel faut qui ne faudroit, s’il avoit un témoin.
LXIV.
Ne t’étonne de voir que le méchant prospère,
Le Soleil aux voleurs donne bien la clarté :
Lors que le Médecin du fiévreux désespère,
Il le gâte et permet vivre à sa volonté.
LXV.
Plus que le feu d’Enfer la calomnie est pire,
Le trait est plus cruel et le coup plus cuisant :
L’Enfer après la mort le coupable déchire,
La calomnie afflige à la fin l’innocent.
LXVI.
L’affliction abat le cœur & le redresse,
L’arbre victorieux s’élève par le poix :
Le sceau lève la cire aussi bien qu’il la presse,
Et l’esprit monte au Ciel sous le faix de la Croix.
LXVII.
L’envie en vain sa dent porte contre l’enclume
De la simple vertu qui la va terrassant,
Elle semble un mâtin qui jappe par coutume,
Plutôt que la fureur contre un pauvre passant.
LXVIII.
L’envie est un tourment qui les hommes bourelle,
Aussitôt qu’ils sont nés elle s’empare d’eux :
Vois deux enfants nourris d’une même mamelle,
Qui ne peuvent souffrir que le lait soit à deux.
LXIX.
En ce point du méchant l’homme de bien diffère,
L’un dit à son prochain ce que j’ai est à moi,
Ce que tu as est mien : l’autre dit au contraire,
Je n’ai rien en ton bien, et le mien est à toi.
LXX.
De ce qui lui déplaît l’envie fait un crime,
Pour un songe Joseph par les siens fut vendu,
Rien ne perdit Abel que sa pure victime,
Et pour la vérité l’innocent est pendu.
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