Malheureux! Tous Les Dons, La Gloire Du Baptême

Malheureux! Tous les dons, la gloire du baptême,
Ton enfance chrétienne, une mère qui t'aime,
La force et la santé comme le pain et l'eau,
Cet avenir enfin, décrit dans le tableau
De ce passé plus clair que le jeu des marées,
Tu pilles tout, tu perds en viles simagrées
Jusqu'aux derniers pouvoirs de ton esprit, hélas!
La malédiction de n'être jamais las
Suit tes pas sur le monde où l'horizon t'attire,
L'enfant prodigue avec des gestes de satyre!
Nul avertissement, douloureux ou moqueur,
Ne prévaut sur l'élan funeste de ton coeur.

Bon Chevalier Masqué Qui Chevauche En Silence

Bon chevalier masqué qui chevauche en silence,
Le malheur a percé mon vieux coeur de sa lance.

Le sang de mon vieux coeur n'a fait qu'un jet vermeil
Puis s'est évaporé sur les fleurs, au soleil.

L'ombre éteignit mes yeux, un cri vint à ma bouche,
Et mon vieux coeur est mort dans un frisson farouche.

Alors le chevalier Malheur s'est rapproché,
Il a mis pied à terre et sa main m'a touché.

Son doigt ganté de fer entra dans ma blessure
Tandis qu'il attestait sa loi d'une voix dure.

Malines

Vers les prés le vent cherche noise
Aux girouettes, détail fin
Du château de quelque échevin,
Rouge de brique et bleu d'ardoise,
Vers les prés clairs, les prés sans fin...

Comme les arbres des féeries
Des frênes, vagues frondaisons,
Échelonnent mille horizons
A ce Sahara de prairies,
Trèfle, luzerne et blancs gazons,

Les wagons filent en silence
Parmi ces sites apaisés.
Dormez, les vaches! Reposez,
Doux taureaux de la plaine immense,
Sous vos cieux à peine irisés!

Le train glisse sans un murmure,

Bruxelles

CHEVAUX DE BOIS

Tournez, tournez, bons chevaux de bois,
Tournez cent tours, tournez mille tours,
Tournez souvent et tournez toujours,
Tournez, tournez au son des hautbois.

Le gros soldat, la plus grosse bonne
Sont sur vos dos comme dans leur chambre;
Car, en ce jour, au bois de la Cambre,
Les maîtres sont tous deux en personne.

Tournez, tournez, chevaux de leur coeur,
Tandis qu'autour de tous vos tournois
Clignotte l'oeil du filou sournois,
Tournez au son du piston vainqueur.

C'est L'extase Langoureuse

C'est l'extase langoureuse,
C'est la fatigue amoureuse,
C'est tous les frissons des bois
Parmi l'étreinte des brises,
C'est, vers les ramures grises,
Le choeur des petites voix.

O le frêle et frais murmure!
Cela gazouille et susure,
Cela ressemble au cri doux
Que l'herbe agitée expire...
Tu dirais, sous l'eau qui vire,
Le roulis sourd des cailloux.

Cette âme qui se lamente
En cette plainte dormante,
C'est la nôtre, n'est-ce pas?
La mienne, dis, et la tienne,
Dont s'exhale l'humble antienne

Colloque Sentimental

Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.

Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leurs paroles.

Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé.

--Te souvient-il de notre extase ancienne?
--Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne?

--Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom?
Toujours vois-tu mon âme en rêve?--Non.

--Ah! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches!--C'est possible.

En Sourdine

Calmes dans le demi-jour
Que les branches hautes font,
Pénétrons bien notre amour
De ce silence profond.

Fondons nos âmes, nos coeurs
Et nos sens extasiés,
Parmi les vagues langueurs
Des pins et des arbousiers.

Ferme tes yeux à demi,
Croise tes bras sur ton sein,
Et de ton coeur endormi
Chasse à jamais tout dessein.

Laissons-nous persuader
Au souffle berceur et doux
Qui vient à tes pieds rider
Les ondes de gazon roux.

Et quand, solennel, le soir
Des chênes noirs tombera,

L'amour Par Terre

Le vent de l'autre nuit a jeté bas l'Amour
Qui, dans le coin le plus mystérieux du parc,
Souriait en bandant malignement son arc,
Et dont l'aspect nous fit tant songer tout un jour!

Le vent de l'autre nuit l'a jeté bas! Le marbre
Au souffle du matin tournoie, épars. C'est triste
De voir le piédestal, où le nom de l'artiste
Se lit péniblement parmi l'ombre d'un arbre.

Oh! c'est triste de voir debout le piédestal
Tout seul! et des pensers mélancoliques vont
Et viennent dans mon rêve où le chagrin profond

Colombine

Léandre le sot,
Pierrot qui d'un saut
De puce
Franchit le buisson,
Cassandre sous son
Capuce,

Arlequin aussi,
Cet aigrefin si
Fantasque
Aux costumes fous,
Ses yeux luisants sous
Son masque,

--Do, mi, sol, mi, fa,--
Tout ce monde va,
Rit, chante
Et danse devant
Une belle enfant
Méchante

Dont les yeux pervers
Comme les yeux verts
Des chattes
Gardent ses appas
Et disent: «A bas
Les pattes!»

--Eux ils vont toujours!

Les Indolents

Bah! malgré les destins jaloux,
Mourons ensemble, voulez-vous?
--La proposition est rare.

--Le rare est le bon. Donc mourons
Comme dans les Décamérons.
--Hi! hi! hi! quel amant bizarre!

--Bizarre, je ne sais. Amant
Irréprochable, assurément.
Si vous voulez, mourons ensemble?

--Monsieur, vous raillez mieux encor
Que vous n'aimez, et parlez d'or;
Mais taisons-nous, si bon vous semble?

Si bien que ce soir-là Tircis
Et Dorimène, à deux assis
Non loin de deux silvains hilares,

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