Dans La Grotte

Là, je me tue à vos genoux!
Car ma détresse est infinie,
Et la tigresse épouvantable d'Hyrcanie
Est une agnelle au prix de vous.

Oui, céans, cruelle Clymène,
Ce glaive qui, dans maints combats,
Mit tant de Scipions et de Cyrus à bas,
Va finir ma vie et ma peine!

Ai-je même besoin de lui
Pour descendre aux Champs-Elysées?
Amour perça-t-il pas de flèches aiguisées
Mon coeur, dès que votre oeil m'eût lui?

A La Promenade

Le ciel si pâle et les arbres si grêles
Semblent sourire à nos costumes clairs
Qui vont flottant légers avec des airs
De nonchalance et des mouvements d'ailes.

Et le vent doux ride l'humble bassin,
Et la lueur du soleil qu'atténue
L'ombre des bas tilleuls de l'avenue
Nous parvient bleue et mourante à dessein.

Trompeurs exquis et coquettes charmantes
Coeurs tendres mais affranchis du serment
Nous devisons délicieusement,
Et les amants lutinent les amantes

De qui la main imperceptible sait

L'allée

Fardée et peinte comme au temps des bergeries,
Frêle parmi les noeuds énormes de rubans,
Elle passe, sous les ramures assombries,
Dans l'allée où verdit la mousse des vieux bancs,
Avec mille façons et mille afféteries
Qu'on garde d'ordinaire aux perruches chéries.
Sa longue robe à queue est bleue, et l'éventail
Qu'elle froisse en ses doigts fluets aux larges bagues
S'égaie en des sujets érotiques, si vagues
Qu'elle sourit, tout en rêvant, à maint détail.
--Blonde en somme. Le nez mignon avec la bouche

Sur L'herbe

L'abbé divague.--Et toi, marquis,
Tu mets de travers ta perruque.
--Ce vieux vin de Chypre est exquis
Moins, Camargo, que votre nuque.

--Ma flamme...--Do, mi, sol, la, si.
--L'abbé, ta noirceur se dévoile.
--Que je meure, Mesdames, si
Je ne vous décroche une étoile.

--Je voudrais être petit chien!
--Embrassons nos bergères, l'une
Après l'autre.--Messieurs, eh bien?
--Do, mi, sol.--Hé! bonsoir la Lune!

Pantomime

Pierrot, qui n'a rien d'un Clitandre,
Vide un flacon sans plus attendre,
Et, pratique, entame un pâté.

Cassandre, au fond de l'avenue,
Verse une larme méconnue
Sur son neveu déshérité.

Ce faquin d'Arlequin combine
L'enlèvement de Colombine
Et pirouette quatre fois.

Colombine rêve, surprise
De sentir un coeur dans la brise
Et d'entendre en son coeur des voix.

Clair De Lune

Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmants masques et bergamasques,
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.

Tout en chantant sur le mode mineur
L'amour vainqueur et la vie opportune,
Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,

Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres.

Monsieur Prudhomme

Il est grave: il est maire et père de famille.
Son faux col engloutit son oreille. Ses yeux,
Dans un rêve sans fin, flottent insoucieux
Et le printemps en fleurs sur ses pantoufles brille.

Que lui fait l'astre d'or, que lui fait la charmille
Où l'oiseau chante à l'ombre, et que lui font les cieux,
Et les prés verts et les gazons silencieux?
Monsieur Prudhomme songe à marier sa fille

Avec monsieur Machin, un jeune homme cossu.
Il est juste-milieu, botaniste et pansu,
Quant aux faiseurs de vers, ces vauriens, ces maroufles,

Une Grande Dame

Belle «à damner les saints», à troubler sous l'aumusse
Un vieux juge! Elle marche impérialement.
Elle parle--et ses dents font un miroitement--
Italien, avec un léger accent russe.

Ses yeux froids où l'émail sertit le bleu de Prusse
Ont l'éclat insolent et dur du diamant.
Pour la splendeur du sein, pour le rayonnement
De la peau, nulle reine ou courtisane, fût-ce

Cléopâtre la lynce ou la chatte Ninon,
N'égale sa beauté patricienne, non!
Vois, ô bon Buridan: «C'est une grande dame!»

La Chanson Des Ingénues

Nous sommes les Ingénues
Aux bandeaux plats, à l'oeil bleu,
Qui vivons, presque inconnues,
Dans les romans qu'on lit peu.

Nous allons entrelacées,
Et le jour n'est pas plus pur
Que le fond de nos pensées,
Et nos rêves sont d'azur;

Et nous courons par les prés
Et rions et babillons
Des aubes jusqu'aux vesprées,
Et chassons aux papillons;

Et des chapeaux de bergères
Défendent notre fraîcheur,
Et nos robes--si légères--
Sont d'une extrême blancheur;

Les Richelieux, les Caussades

Jésuitisme

JÉSUITISME

Le chagrin qui me tue est ironique, et joint
Le sarcasme au supplice, et ne torture point
Franchement, mais picote avec un faux sourire
Et transforme en spectacle amusant mon martyre,
Et sur la bière où gît mon Rêve mi-pourri,
Beugle un De profundis sur l'air du Traderi.
C'est un Tartufe qui, tout en mettant des roses
Pompons sur les autels des Madones moroses,
Tout en faisant chanter à des enfants de choeurs
Ces cantiques d'eau tiède où se baigne le coeur,
Tout en ami donnant ces guimpes amoureuses

Pages

Subscribe to RSS - French