À monsieur de Chaudebonne

Toi que d'une voix générale,
Mars et l'Amour ont avoué,
Et que les Astres ont doué
D'une humeur franche et libérale,
Chaudebonne, puisque le Ciel
A gardé pour moi tant de fiel,
Ne t'oppose point à sa haine;
Et ne va point mal à propos
Te donner tant soit peu de peine
Pour m'acquérir plus de repos.

Laisse faire à la Destinée;
Il ne faut pas s'imaginer
Qu'en l'humeur de m'importuner
Elle soit toujours obstinée.
Comme on voit après les frimas
Dont l'Hiver glace nos climats,
La douceur du Printemps renaître,
Mes jours sortiront de leur nuit,
Et mon bonheur touche peut-être
Au malheur dont je suis détruit.

Si ces Astres dont l'influence
Préside à mes prospérités,
Roidissent leurs sévérités
Contre ma petite espérance,
Emportant bientôt loin d'ici
Toutes les pointes du souci
Que me donne cette aventure,
J'irai perdre dans ma Maison
Les ressentiments d'une injure
Dont je ne sais pas la raison.

Sous des monts tels que ceux de Thrace
Où le froid est presque toujours,
On découvre de vieilles Tours
Où je puis cacher ma disgrâce.
Tous les ans près de ce Château,
Le dos d'un assez grand coteau
D'une blonde javelle éclate;
Et si l'air n'est bien en fureur,
Cette terre n'est guère ingrate
À la peine du Laboureur.

Elle n'a qu'un défaut insigne
Qu'on répare chez les voisins:
C'est qu'on y voit peu de raisins
Pendre aux bras tortus de la vigne;
Mais lorsque les prés sont fauchés,
Et que les blés qu'on a couchés
Ont été serrés dans la grange,
Bacchus y vient bientôt après
Dans des Chars tout pleins de vendange
Festoyer avecque Cérès.

Jamais le désir des richesses
Ne troublera mes sentiments;
La Nature et les Éléments
Me feront assez de largesses;
L'Or éclatant dont le Soleil
Vient couronner à son réveil
Le front orgueilleux des Montagnes,
Et l'argent pur qui va coulant
Sur l'émail fleuri des campagnes,
Me rendront assez opulent.

La nuit, quand mille pierreries
Lui donnent un peu de blancheur,
Quand son silence et sa fraîcheur
Flattent mes douces rêveries,
L'Aurore avecque ses habits
Dont les Saphirs et les Rubis
Tentèrent l'âme de Céphale,
Et l'Iris offrant à mes yeux
Un Arc des couleurs de l'Opale,
M'offrent tous les trésors des Cieux.

L'Écho d'un Bois ou d'un Rivage,
Où les Bergers vont s'enquérir
Du Destin qu'ils doivent courir
Vivant sous l'amoureux servage.
La Musique de mille Oiseaux,
Le bruit et la chute des eaux
Qui se précipitent des roches,
Et l'ombre au fort de la chaleur,
Me feront de justes reproches,
Si je m'y plains de mon malheur.

Puis, quand les procès ou la guerre,
Que l'on ne saurait éviter,
Ligués pour me perséculer,
M'auraient désolé cette terre;
Quand une ardente exhalaison,
Ou quelque grande trahison,
Auraient mis ma retraite en flame,
Ces maux sont aisés à guérir,
Puisqu'il me reste encore en l'âme
Des Biens qui ne sauraient périr.

Partout où ce n'est point un crime
Que d'aimer la fidélité,
Partout où la sincérité
Peut trouver tant soit peu d'estime,
Que je traverse autant de Mers
Que j'aborde autant de déserts
Qu'Ulysse, ou que le fils d'Anchise,
Je sais que le Ciel m'a promis
Que mon esprit et ma franchise
M'y feront trouver des Amis.

En quelque Quartier où j'arrive,
Si l'on y fait état des Arts,
Soit qu'en ces lieux Minerve ou Mars
Plantent le Laurier ou l'Olive,
Du Prince le moins curieux,
Et même du moins glorieux
Dont il soit parlé dans l'Histoire,
L'honneur se démentira bien
Si pour avoir beaucoup de gloire
Il ne me fait un peu de bien.

Il est vrai que, loin du grand Prince
Dont mon esprit est amoureux,
Je serais toujours malheureux,
Eussé-je acquis une Province;
Le sort aurait beau m'obliger,
Il ne pourrait jamais purger
L'humeur dont je serais malade:
Et le Ciel n'a point de liqueur
Dont la douceur fâcheuse, et fade,
Ne me fit toujours mal au cœur.

Mais toi qui gouvernes les Anges
Qui peuvent tout pour mon bonheur,
Fais qu'ils m'accordent cet honneur
Pour le prix de mille louanges.
Relevant de mille clartés
Leurs adorables qualités;
Je ferai si bien leur image,
Qu'il n'est homme entre les Mortels,
Les voyant peints en mon ouvrage,
Qui leur refuse des Autels.

Chaudebonne, si leur réponse
A pour moi quelque trait humain,
Que tout au plus tard, dans demain,
Quelqu'un de ta part me l'annonce.
Mais s'il me succède autrement,
Trahis-moi le plus doucement
Que peut faire un Ami fidèle:
Ne me fais faire le rapport
D'une si funeste nouvelle
Qu'une semaine après ma mort.
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