Aux dix mille annees
Ces barbares, écartant le bois, et la brique et la terre, bâtissent dans
le roc afin de bâtir éternel !
Ils vénèrent des tombeaux dont la gloire est d'exister encore ; des ponts
renommés d'être vieux et des temples de pierre trop dure dont pas une
assise ne joue.
Ils vantent que leur ciment durcit avec les soleils ; les lunes meurent
en polissant leurs dalles ; rien ne disjoint la durée dont ils s'affublent
ces ignorants, ces barbares !
Vous ! fils de Han, dont la sagesse atteint dix mille années et dix mille
dix milliers d'années, gardez-vous de cette méprise.
Rien d'immobile n'échappe aux dents affamées des âges. La durée n'est
point le sort du solide. L'immuable n'habite pas vos murs, mais en vous,
hommes lents, hommes continuels.
Si le temps ne s'attaque à l'oeuvre, c'est l'ouvrier qu'il mord. Qu'on le
rassasie : ces troncs pleins de sève, ces couleurs vivantes, ces ors que la
pluie lave et que le soleil éteint.
Fondez sur le sable. Mouillez copieusement votre argile. Montez les bois
pour le sacrifice ; bientôt le sable cédera, l'argile gonflera, le double
toit criblera le sol de ses écailles :
Toute l'offrande est agréée !
*
Or, si vous devez subir la pierre insolente et le bronze orgueilleux,
que la pierre et que le bronze subissent les contours du bois périssable
et simulent son effort caduc :
Point de révolte : honorons les âges dans leurs chutes successives et le
temps dans sa voracité.
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