Douze baisers gaignez au jeu

De juste gain et loyalle promesse
Vous me debvez, o ma seule Maistresse,
Douze baisers à mon choix bien assis,
Et je n'en ay seullement eu que six.
Et toutesfois, comm' en nombre parfaict
Vous me voulez content et satisfaict,
Disant chacun avoir de son quartier
Baise six fois et faict le conte entier,
Ainsi par fraude et droict mal entendu,
M'ostez un bien justement pretendu
Et apprenez à chiche devenir,
A bien promectre et à tres mal tenir
A voz faveurs distribuer par compte.
Je fay pour vous conscience et ay honte
Du larrecin qui sans vostre avantaige
A voz amis porte si grand dommaige,
Car pensez-vous qu'une bouche vermeille,
Bien qu'elle rende heureux l'œil et l'oreille
Par un doux ris et parler gracieux,
Puisse nourrir un cœur ambitieux
De ce seul bien, sans quelque seureté
De ce qu'amour a d'ailleurs merité?
Et la donnant, son gaige le plus cher
Est par baisers de l'amy s'approcher,
Et respirant, attiedir ses grandz flammes,
Confondre en un deux differentes ames,
Laissant leurs corps vifz et mortz en mesme heure,
Pour ailleurs vivre et changer de demeure.
Si ces biens-là me sont donc interdictz,
Où est l'espoir de mes plus grandz creditz?
Qui me tient plus en ceste prison vive
Si vostre amour est si lente et oysive?
Quand bien de mort pourrois fouir l'approche,
Si ne vouldrois-je apres vostre reproche
Demeurer vif pour ne vous voir blasmer
D'avoir mal sceu recongnoistre et aymer.
Ne laissez donc tomber, o chere amie,
Moy en danger et vous en infamie.
Recompensez ce mal d'un plus grand heur,
Non pour mon bien, mais pour vostre grandeur
Qui perdroit trop de son autorité
Si j'avais moins que je n'ay merité.
Et ne pensez que le cas que j'en fois
Soit pour ma debte et baiser douze fois.
Douze est bien peu au pris de l'infiny
Dont mon desir doibt estre diffiny,
Car quand j'aurois cent mille fois baisé,
Mon cœur encor' ne seroit appaisé.
Amour est Dieu et nous, fumée et umbre;
Ne luy scaurions satisfaire par nombre.
Ce qui me meut est que vous me semblez
Congnoistre mal les honneurs assemblez
Du Ciel en vous et ce qui vous faict estre
Loing par-dessus toute chose terrestre,
Vous proposant je ne scay quelz diffames
Comme s'estiez du reng des autres femmes,
Suivant le Peuple et son oppinion
Où vous n'avez part ne communion,
Fors qu'en ces paeurs et respectz obstinez
Mal convenans au lieu que vous tenez.
Respondez-moy: trouverriez-vous plaisante
Une forest beaux arbres produisante
Dont en plain may et saison opportune
On peust conter les feuilles une à une?
Vistes-vous onc en un pré où l'eau vive
Seme de fleurs et l'une et l'autre rive
Qu'on s'amusast à vouloir compte rendre
Combien de brins il y a d'herbe tendre?
Et qui feroit sacrifice à Ceres
S'elle donnoit aux terres et gueretz
Nombre certain d'espitz non se touchans
Tant qu'on les peust compter parmy les champs?
Quand Jupiter la terre seiche arrose
Ou que le ciel à oraige il dispose,
On ne va point compter la gresle toute
Ny calculer la pluie goutte à goutte.
Soit bien, soit mal, ce qui nous vient des Dieux
Vient sans mesure et sans nombre odieux.
Et ces dons-là profusement jectez
Sont convenans à hautes majestez.
Vous donc, amye, en beauté comparée
A l'immortelle et blonde Cytherée,
Que n'usez-vous de liberalité
Appartenante à immortalité?
Pourquoy nous sont les graces departies
De voz baisers par comptes et parties
Et les tormens qu'à grand tort nous donnez
Nous sont sans nombre et sans fin ordonnez?
C'estoient ceux-là où par meilleure office
Il vous falloit exercer avarice,
Non aux baisers, ou, espargnant ceux-cy,
Les maux debviez nous espargner aussi.
Faictes-le donc et me recompensez
Du deuil qui a mes sens trop offencez,
Retribuant en voulontèz unies
Infiniz biens pour peines infinies.
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