A la memoire de M. de Fenouillet
Loin des lieux enchantés où coula votre enfance,
Et sans avoir revu votre douce Provence,
Sur les bords canadiens pour toujours endormi,
Vous avez achevé votre sombre voyage.
Sans craindre désormais la foudre ni l'orage,
Dormez en paix, mon vieil ami !
Dormez sous cette terre, où l'amitié fidèle,
Cet odorant parfum que notre âme recèle,
Gravera votre nom dans notre souvenir.
Dormez sous cette terre où la mort froide et pâle
A brisé de sa main, dans une heure fatale,
Vos humbles projets d'avenir.
Sous le ciel radieux de la vieille patrie,
Ah ! vous aviez rêvé la vieillesse embellie
Par tous les souvenirs de votre doux printemps.
Vous espériez dormir aux bords de la Durance
Votre dernier sommeil, et donner à la France
Ce qui restait de vos vieux ans.
Comme le voyageur dont la force succombe,
Avant la fin du jour vous trouvez votre tombe ;
Dans la coupe de vie, aux bords couverts de fiel,
Où vous vous abreuviez sans murmure et sans plainte,
La mort vous a laissé boire toute l'absinthe,
Sans vous laisser goûter au miel.
On eût dit, en voyant, plein de sombres pensées,
Votre front refléter bien des douleurs passées,
Que jamais le bonheur ne vous avait souri !
Une douleur secrète avait brisé votre âme ;
Nulle main n'a donc pu verser un pur dictame
Sur votre coeur endolori ?
Aviez-vous éprouvé la malice des hommes ?
Ou plutôt trouviez-vous qu'ici-bas nous ne sommes
Qu'un jouet d'un instant dans les mains du malheur ?
Aviez-vous donc appris que l'existence avide,
Hélas ! ne pouvait pas combler l'immense vide
De ce gouffre sans fond que l'on nomme le coeur ?
Venus bien après vous dans cette sombre arène,
Où partout la douleur domine en souveraine,
Nous avons moins vécu, nous avons moins souffert.
Déjà l'illusion, à notre espoir ravie,
A fui loin de nos coeurs, et nous trouvons la vie
Plus aride que le désert.
Vous laissez parmi nous une trace durable.
Fidèle à vos amis, aux pauvres secourable,
Des plus nobles vertus vous suivîtes la loi.
Le ciel des plus beaux dons avait orné votre âme,
Dont vous saviez toujours entretenir la flamme
Aux éclairs du génie, aux rayons de la foi.
Votre esprit s'élevait à la hauteur sereine
Où planent tous les rois de la pensée humaine.
Et Dante, Bossuet, Goëthe, Chateaubriand,
Étaient la source vive où votre intelligence
S'enivrait chaque jour de force et de science,
Et goûtait les splendeurs de ce concert géant.
Esclave du devoir, votre parole ardente
Voulut user trop tôt sa sève fécondante ;
Comme un soldat debout qui meurt l'arme à la main,
Vous luttiez corps à corps avec la maladie.
Vous disiez, ranimant votre force affaiblie :
Aujourd'hui le travail et le repos demain !
Demain, c'était la tombe, où la mort dure et sombre
Vous donnait ce repos plein de silence et d'ombre
Où nous irons un jour dormir à vos côtés ;
Demain, c'était la mort sur la terre étrangère,
Loin du beau ciel natal où mourut votre mère,
Où dorment vos aïeux sur des bords enchantés.
Vous êtes maintenant dans le royaume morne,
OÙ, plaisir et douleur, toute chose est sans borne.
Mais, au seuil du tombeau, dans votre coeur pieux
Vous reçûtes le pain de l'éternelle vie ;
Sous ce divin soleil votre âme épanouie
Sur l'aile de la foi s'est envolée aux cieux !
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