Merlin de Thionville
Français régénérés de la grande semaine,
Suivons le deuil nouveau que la Liberté mène !
Elle perd chaque jour ses derniers vétérans,
Et, comme Niobé, meurt sur ses fils mourants…
Hélas ! quand le tribun du peuple et de l’armée,
Merlin de Thionville est mort, la renommée,
Qui suivait à grand bruit le triomphe d’un roi,
N’a point jeté les yeux sur cet obscur convoi.
Rien ne s’émut autour de cette gloire morte ;
Quelques rares amis ont seuls formé l’escorte,
Et les mille clochers dont il fondait l’airain
Pour voter un budget au peuple souverain,
Et les mille canons qu’il pointait aux batailles,
N’ont point hurlé dans l’air un glas de funérailles ;
Et rien ne rappela qu’il fut un des cent rois
Devant qui tous les rois chancelaient à la fois.
Puissant par la parole et puissant par l’audace,
Il résume en lui seul l’époque à double face
Que d’une explosion de gloire deux volcans
Éclairaient à la fois, la tribune et les camps.
Fallait-il dégrader Dumouriez ou Custines,
Rallier au drapeau des légions mutines,
Réveiller dans nos rangs la victoire qui dort,
Et noyer dans le Rhin les Pharaons du nord ?
Carnot montrait du doigt la frontière entamée,
Et Merlin y tombait pesant comme une armée.
Dans leur métier de feu qu’il n’avait point appris,
Il révélait un maître aux généraux surpris ;
Debout, le sabre en main, sur l’affût oratoire,
La veille du combat, décrétait la victoire,
Et, dans les rangs prussiens plongeant seul bien souvent,
En rapportait le droit de crier : En avant !
Puis, des bords enflammés du Rhin ou de la Sambre,
Quand un coup de toscin l’appelait à la Chambre,
Plus intrépide encor dans un nouveau danger,
Sur l’ardente montagne il revenait siéger.
À ta place, Merlin, la séance est ouverte.
Des triumvirs jaloux ont médité sa perte.
Il regarde pensif les vides qu’en tombant
Danton et Desmoulins ont laissés sur leur banc ;
Mais, nouveau Damoclès, l’épouvante dans l’âme,
Il ne restera pas accroupi sous la lame.
Contre ses ennemis, sitôt qu’ils paraîtront,
Il s’armera du fer qu’ils pendent sur son front ;
Et, puisqu’à leurs genoux Thémis pâle s’est tue,
Détournera sur eux le hors la loi qui tue.
Robespierre est puissant, Robespierre a pour lui,
Des piques dont l’éclair en vain n’a jamais lui,
Des canons demandant audience à la porte,
Les faubourgs, une armée et Saint-Just ! mais qu’importe ?
Sa voix retentira, qu’on l’applaudisse ou non,
Plus haut que les faubourgs, Saint-Just et le canon.
Le bouillant proconsul, venu de la Gironde,
Assiège le premier la tribune qui gronde.
Écoutez !… Oh ! jamais, sur les glacis d’un fort,
Les cœurs avant l’assaut n’ont palpité plus fort.
Le Sina, d’où tombaient des lois et des tempêtes,
La montagne ébranlée a fendu ses deux crêtes,
Et les pics fraternels, s’entre-choquant tous deux,
Volcanisent le sol, qui palpite autour d’eux.
De spectateurs béants la salle est crénelée ;
Comme un troupeau de loups qui flaire la mêlée,
La plèbe anthropophage attend là, pour savoir
Quelle chair et quel sang on lui promet ce soir…
Mais tout à coup le monstre hésite à s’en repaître
Le lion d’Androclès a reconnu son maître ;
Les décrets promulgués expirent sous les cris ;
Des bras nus et sanglants relèvent les proscrits ;
Par tous ses soupiraux, le vieil Hôtel de Ville,
Haletant, a soufflé la tempête civile,
Et sur les quais bruyants où Paris est debout
Aux feux de thermidor la sédition bout.
Merlin se lève alors, fier d’un rôle à sa taille ;
Encor poudreux des camps, il vole à la bataille.
Il part ; les cris de mort ne l’intimident point ;
Il plonge dans l’émeute, un pistolet au poing,
Devant les conjurés se dresse, loi vivante,
Comme dans un filet, les prend dans l’épouvante,
Et, sans qu’ils aient tiré le glaive du fourreau,
Les ramasse tremblants et les jette au bourreau.
C’est bien : justice est faite, et, joyeux dans leur tombe,
Les cordeliers martyrs acceptent l’hécatombe.
Un nouveau roi déchu fait hommage à Samson ;
La hache, qu’ébréchait une longue moisson,
Humide d’un sang pur, dans le sang est lavée.
Merlin, repose-toi, la séance est levée !
En face d’un tel homme, oh ! qu’ils semblent petits,
Ces législateurs nains dans le centre blottis !
Ces rhéteurs fanfarons à la voix menaçante,
Qui tonnent sans danger contre l’émeute absente,
Et râlent un long cri d’épouvante et de deuil,
Sitôt qu’un bruit suspect bourdonne sur le seuil !
Si, du moins, surgissait dans un coin de leur salle
Du siècle des géants quelque ombre colossale !…
Mais sur nos vieux tribuns, historiques lambeaux,
L’oubli pesait avant la pierre des tombeaux.
Quand le lion rugit les trois jours de colère,
Sans doute le vieillard bénit la nouvelle ère,
Et, comme le pays, comme la liberté,
Pour un avenir d’or se crut ressuscité.
Sans doute il espéra que la voix des collèges
Aux sénateurs déchus restitûrait leurs sièges.
Vain espoir ! ce grand nom retentissait trop fort.
Peut-être, en l’écartant, la France n’eut pas tort.
Quand on eût présenté Merlin de Thionville
Comme un épouvantail à la chambre servile,
Quand sur nos girondins le fougueux montagnard
Eût lancé sa parole et brandi son poignard,
Oh ! sans doute, devant cet homme de l’histoire,
Reculant de terreur, comme devant Grégoire,
Dans les bras de la France ils auraient rejeté
Le tribun glorieux de son indignité…
Quoi ! des récits menteurs, que la peur accrédite,
Font de l’époque sainte une époque maudite !
Par des auteurs vendus tout royal attentat
Est absous et paré du nom de coup d’État,
Et pour les nations il n’est point d’indulgence !
Après avoir longtemps amassé sa vengeance,
Lorsque le peuple-roi se relève, et s’assied
Sur les partis vaincus qui le mordent au pied,
Il faudrait qu’il n’eût pas de fiel dans les entrailles,
Qu’il étouffât la soif des justes représailles,
Et ne réveillât pas contre ses ennemis
Le beffroi, chaud encor, des Saints-Barthélemis !
Pour les Fouquiers royaux l’histoire est sans colères,
Et ne pardonne pas aux Jeffreys populaires !
Et quand même ils auraient frappé d’aveugles coups,
Lâches accusateurs, silence ! oubliez-vous
Que leur âme de feu purifiait leurs œuvres ?
Oui, d’un pied gigantesque écrasant les couleuvres,
Par le fer et la flamme ils voulaient aplanir
Une route aux Français vers un bel avenir.
Ils marchaient pleins de foi, pleins d’amour, et l’histoire
Absoudra, comme Dieu, qui sut aimer et croire.
Semblables au Mogol, pourvoyeur de vautours,
Qui de crânes humains édifiait des tours,
Au dieu qu’ils confessaient votant d’horribles fêtes,
Pour lui bâtir un temple ils entassaient les têtes ;
Et, quand il le fallait, résignés au malheur,
Couronnaient l’édifice en y portant la leur.
Sans doute il leur fallait, d’une main pacifique,
Caresser des méchants la race prolifique,
Au lieu de fatiguer la hache du trépas ;
Comme en nos jours de honte il fallait, n’est-ce pas ?
Garrotter de rubans, déporter dans les places,
Des ennemis vaincus qui hurlent des menaces,
Et, plutôt qu’un mandat, jeter un passe-port
À ces preux chevaliers galopant vers le nord,
Qui, pour tailler en fiefs la France découpée,
Aux sabres des uhlans aiguisaient leur épée…
Eh bien ! moi, je vous dis que leur pied trop clément
Sur l’hydre féodale a pesé mollement ;
Car elle siffle encor, car le monstre vivace,
Dès qu’ils furent passés, a bondi sur leur trace ;
Ils n’ont régné qu’un jour, et quand, le lendemain,
Sur la couronne à terre un Cromwell mit la main,
Pour son infâme Rump il sut trouver des membres,
Repeupla, d’un coup d’œil, les vieilles antichambres,
Et fit dans le château surgir, on ne sait d’où,
Les mannequins vivants balayés le dix août.
À l’anathème, un jour, substituant l’éloge,
On fera de leurs noms un saint martyrologe ;
Un jour on votera des honneurs immortels
À leurs tombeaux maudits transformés en autels.
Mais nous, dont le cœur chaud repousse un froid système,
Nous, peuple, qui voulons la liberté quand même,
Devançons l’avenir, et d’un pieux accueil
Honorons ces proscrits, au moins dans le cercueil.
Qu’en guise de cyprès, le chêne populaire
Prodigue à leur sommeil son ombre séculaire !
Décoré de leurs noms, pavoisé de drapeaux,
L’arbre poussera bien dans le champ du repos
Car du tronc à la tige une chaude poussière
Circulera changée en sève nourricière ;
Dans chacun des rameaux qui frissonnent au vent
Nos fils vénéreront un ancêtre vivant,
Et le soir, attentifs au conseil que leur donne
Un prophète semblable à celui de Dodone,
Aux jours de grande alarme ils diront à genoux :
Mânes de nos aïeux, que faire ? inspirez-nous !…
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