Lanneau du diable

Au temps des géants et des fées,
Des sorcières, des enchanteurs
Et des chevaliers pourfendeurs,
Races par malheur étouffées
Sous les bûchers de nos inquisiteurs,

Dans un château du pays de Murcie,
Et dont la mer baignait les tours,
De jeunes fous menaient joyeuse vie,
Mets succulents, bons vins et symphonie,
Rien n’y manquait, pas même les amours ;
Chacun avait sa belle amie ;
Quand le plus fou se mit à discourir
Sur le malheur d’ignorer l’avenir,
De ne pas lire au cœur de ses semblables,
Disant que pour en obtenir
Et le pouvoir et le plaisir,
Il donnerait son âme à tous les diables.
Voilà soudain que le plafond se fend,
Et sur la table une fée en descend.
« Prends cette bague ,» lui dit-elle,
« C’est l’œuvre d’un démon femelle,
« Elle dira ce que tu veux savoir,
« Ce que tu crains du sort ou de ta belle,
« Les soleils qu’il te reste à voir ;
« Tu verras tout comme dans un miroir. »
Disant ces mots elle est déjà partie ;
Et la joyeuse compagnie
Reste un moment dans la stupeur,
Et puis on se remet à rire.
Mais voilà mon fou qui soupire,
Et qui se pâme de douleur :
Il s’était vu mourir avant l’année,
Et dans son âme consternée,
Etait déjà mort le bonheur.

Le voisin rit de son peu de courage,
Et se saisit du talisman fatal ;
Mais vers sa belle il se tourne avec rage :
Il l’avait vue aux bras de son rival ;
Et son poignard l’eût déjà perforée,
Si de ses mains on ne l’eût retirée.
Le troisième sur un vaisseau
Avait mis toute sa richesse :
Il la trouvait au fond de l’eau,
Et succombait à sa détresse.
Un autre enfin, c’était le fils du roi,
A pris la bague, et reculé d’effroi :
De son empire à peine il était maître,
Qu’il expirait sous le glaive d’un traître.
« Bien sot et fou qui vous imitera, »
Dit le dernier ; « je reste dans le doute.
« De notre mieux égayons notre route ;
« Nous pleurerons quand le malheur viendra.
« Si l’éviter n’est point en ma puissance,
« Je ne veux point m’en affliger d’avance.
« Aimons, rions ; si le bonheur parfait
« Dépend un peu des choses que l’on sait,
« Il tient beaucoup aux choses qu’on ignore. »
Il dit, et le don de l’enfer
Par la fenêtre a volé dans la mer,
Où, grâce au Ciel, il est encore.

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