Les MoisDecembre

Sur un char paresseux, le soleil tristement
Se lève, enveloppé d’un sombre vêtement.
Quelle affreuse pâleur deshonnore sa face ?
Comme rapidement sa lumière s’efface !
De l’empire des airs n’est-il donc plus le roi ?
Qu’a-t-il fait de ses traits ? Où sont-ils ? Et pourquoi
Si long-tems à la nuit abandonner son trône ?
Est-ce là ce vainqueur que la flamme couronne ?
Est-ce lui, qui n’aguère ardent, ambitieux
Franchissoit tous les jours l’immensité des cieux,
De torrens de lumière inondoit les campagnes,
Et dardant ses rayons jusqu’au flanc des montagnes,
Empreignoit le rocher de germes créateurs ?
Vous, de son feu sacré zélés adorateurs,
Héritiers des incas, enfans de Zoroastre,
Venez dans notre Europe, et contemplez cet astre,
Devant qui, chaque jour, fléchissent vos genoux.

Est-ce là votre dieu ? Le reconnoissez-vous ?
Vous pâlissez ! Vos yeux se remplissent de larmes !
Peuples simples et doux, je conçois vos allarmes.
En contemplant son front et livide et glacé,
Vous croyez de la mort votre dieu menacé ;
Vous craignez que le ciel, pour venger quelqu’outrage,
N’aille renouveller cet antique naufrage,
Qui, brisant, ruinant le monde primitif,
Dispersa des humains le reste fugitif :
Comme eux vous redoutez d’éternelles ténèbres,
Et remplissez les airs de cris lents et funèbres.
Rassurez-vous ; le ciel vous promet sa faveur,
Et vous verrez bientôt naître votre sauveur.
C’est le soleil. Tournez vos regards vers l’aurore :
C’est de-là que ce dieu, tout rayonnant encore,
Après deux fois dix jours, de cinq nuits allongés,
Viendra dissiper l’ombre où nous sommes plongés ;
Les peuples marcheront à sa vive lumière :
Il rendra la nature à sa beauté première.
Terre, sois dans la joie ; et vous, cieux, tressaillez !
De leurs plus doux trésors les hommes dépouillés
Des présens de Cérès enrichiront leurs granges,
Et seront abreuvés du nectar des vendanges.
Mais trop tôt mes regards vont chercher l’avenir ;
Trop tôt je vous promets celui qui doit venir :
Avant qu’il ait repris son armure éclatante,
Les champs doivent languir dans une longue attente ;
Les vents doivent gronder, les brouillards s’épaissir,
Et la pluie et la nège en glace se durcir.
Ah ! Tandis que la glace épargne encor la terre,
Hâtons-nous, prévenons le froid qui la resserre :
D’une race nouvelle allons peupler les bois.
Cent jeunes citoyens s’offrent à notre choix ;
Le plâne, qui couvrit le banquet de Socrate ;
Le cèdre, antique enfant des rives de l’Euphrate,
Lui, de qui les rameaux dans la nuit allumés
Éclairoient les palais de flambeaux parfumés ;
Le frêne, qui se plaît à plonger dans l’argile ;
Le tremble murmurant et le hêtre fragile.
Venez, belles ; venez, poëtes et guerriers :
Je vais planter pour vous le myrthe et les lauriers.
Ombres des morts, sortez du séjour des ténèbres ;
J’élève le cyprès sur vos urnes funèbres.
Que le saule et l’ozier embrassent les ruisseaux ;
Ormes, dans les vallons, préparez des berceaux ;
Vous, sapins, qui des mers devez braver la rage,
Apprenez sur les monts à défier l’orage :
Confions à la roche, aux côteaux sabloneux
(...) mélèse, qui, seul des arbres résineux,
Peu jaloux de sa feuille à l’hyver l’abandonne,
Et le chêne sur-tout, vieux prophète à Dodone.
Qu’il soit de nos forêts le premier ornement :
Sa taille, sa vigueur, son épais vêtement
Sur tous nos végétaux lui méritent l’empire.
Tandis qu’autour de lui tout passe, tout expire,
Lui, déployant toujours des rameaux plus altiers,
Résiste, inébranlable, à des siècles entiers ;
Des dieux toujours vivans noble et frappante image.

Français, respectez donc cet annuel hommage,
Qu’au retour des hyvers, sur un autel sacré,
Vos ancêtres payoient à cet arbre adoré.
Quels chants, quels cris de joie annonçoient cette fête !
Aussi-tôt que des bois le jour doroit le faîte,
Peuples, prêtres et grands marchoient au son du cor
Vers la forêt, que Dreux à ses piés voit encor.
Tableau majestueux ! Nos poëtes antiques,
Les bardes, en trois choeurs, entonnoient des cantiques,
Et noblement vêtus de longs habits flottans,
Conduisoient deux taureaux de blancheur éclatans.
Trois vieillards les suivoient : dans sa main vénérée
L’un portoit un vaisseau rempli d’une eau sacrée ;
L’autre, le pur froment pêtri pour les autels ;
Le dernier, aux regards des coupables mortels,
Présentoit cette main, qui du pouvoir suprême
Dans l’empire des lys est le royal emblême.
Près de leur chef armé d’une serpette d’or,
Les druides sonnoient de la trompe et du cor,
Et le peuple à grands flots fermoit la marche sainte.
Chênes, qui décoriez cette sauvage enceinte,
Leurs yeux sur vous fixés cherchoient avidement
Le gui, de vos rameaux parasite ornement,
Certains que le pouvoir d’Hésus et de Mercure
Attachoit le bonheur à cette plante obscure.
Frappoit-elle leurs yeux ? Tout-à-coup mille voix
Remplissoient d’un seul cri la profondeur des bois.
Cependant le respect ramenant le silence,
La serpette à la main, le grand-prêtre s’élance,
Adore et fait tomber le céleste présent,
Déjà sur un autel à tous les yeux présent.
'Grands dieux ! S’écrie alors le pontife-monarque,
Grands dieux ! De vos bontés nous adorons la marque.
Que ce fruit, sous nos toîts saintement transporté,
En écarte l’horreur de la stérilité ;
Que l’hymen vénérable, amoureux de ses chaînes,
Surpasse en rejettons les rameaux de nos chênes,
Et que leurs troncs noueux, tous les ans plus épais,
Vieillissent avec nous dans une longue paix. '
Il se tait, et poursuit les augustes mystères.
Tels furent nos ayeux dans leur bois solitaires.

Ah ! Pourquoi falloit-il que le sang des mortels ;
Pour honorer Hésus, coulât sur les autels ?
Qu’il soit béni le dieu, dont le bras secourable
A purgé nos climats de ce culte exécrable !
Mais en ouvrant ton sein à de plus douces loix,
Ô France ! Tu devois hériter des gaulois
Un peu de leur respect pour leurs temples agrestes.
Trop oublieux d’un sang, dont nous sommes les restes,
Nous avons abbattu sous nos coups imprudens
Des bois, que pleureront nos derniers descendans.
Où trouver en effet des chênes, dont la tête
Ait bravé deux cens ans l’effort de la tempête ?
Nos forêts n’offrent plus qu’un aride coup-d’oeil ;
Et Compiegne et Crécy gémissent sous le deuil.
Lieux chéris des neuf soeurs, délicieuse enceinte,
Où long-tems de Budé s’égara l’ombre sainte ;
Fontaine, à qui le nom de cet homme fameux
Sembloit promettre, hélas ! Un destin plus heureux,
J’ai vu, sous le tranchant de la hâche acérée,
J’ai vu périr l’honneur de ta rive sacrée !
Tes chênes sont tombés, tes ormeaux ne sont plus !
Sur leur front jeune encor, trois siècles révolus
N’ont pu du fer impie arrêter l’avarice :
D’epines aujourd’hui ta grotte se hérisse ;
Ton eau, jadis si pure, et qui de mille fleurs
Dans son cours sinueux nourrissoit les couleurs,
Ton eau se perd sans gloire au sein d’un marécage.
Fuyez ; tendres oiseaux, enfans de ce bocage ;
Fuyez : l’aspect hideux des ronces, des buissons
Flétriroit la gaîté de vos douces chansons.
Vous, bergers innocens ; vous, qui dans ces retraites
Cachiez les doux transports de vos ardeurs secrettes,
Oh ! Comme votre amour déplore ces beaux lieux !
De vos rivaux jaloux comment tromper les yeux ?
Et moi, qui mollement étendu sur la mousse
M’enyvrois quelquefois d’une extase si douce,
Hélas ! Je n’irai plus y cadencer des vers !
Il faudra que j’oublie et ces ombrages verds
Et la grotte, où du jour je bravois les outrages.
Qu’ai-je dit, insensé ? Quoi, je parle d’ombrages,
Et le démon du nord rugit autour de moi !
Profondément plongé dans un muet effroi,
J’ose à peine écouter ses sifflemens terribles,
Par le calme des nuits devenus plus horribles.
Quel fracas ! Quel tumulte ! à ses coups redoublés,
Mes champêtres lambris gémissent ébranlés.
Ennemi du sommeil dont l’aîle me protège,
Il agite ma couche ; et son fougueux cortège,
L’eurus et les autans, par un commun assaut
Me battant à grand bruit, m’éveillent en sursaut.
Mon ame, trop long-tems de préjugés nourrie,
Croit entendre les morts : je pâlis, je m’écrie,
J’appelle ma raison contre ma folle erreur ;
Et je parviens à peine à dompter ma terreur.
Nuit sombre : mais quel jour plus sombre lui succède !
Qu’il est foible, incertain ! Quelle vapeur l’obsède !
Froide et contagieuse, elle monte en flottant,
Et comme un fleuve impur s’épaissit et s’étend.
Je ne vois plus des monts l’inégale surface ;
Plaines, fleuves, cités, tout s’éteint, tout s’efface.
Je ressemble au mortel, qui loin du jour languit
Dans ces cachots, voisins de l’éternelle nuit.
Mon front est sans couleur, ma tête est affaissée ;
Et la mélancolie attristant ma pensée,
Je ne sens dans mon coeur vide de tous desirs
Ni l’amour des beaux arts, ni le goût des plaisirs :
Ma triste voix s’exhale en regrets inutiles.
Où sont-ils ces côteaux, que j’ai vus si fertiles ?
Où sont-ils ces vallons, si rians à mes yeux ?
Printems, quand viendras-tu rasséréner les cieux ?
Je l’attendrai long-tems. L’hyver règne ; et la nège,
Suspendue en rochers dans les airs qu’elle assiège,
Oppose aux feux du jour sa grisâtre épaisseur :
De sa chûte prochaine un calme précurseur
S’est emparé des airs ; ils dorment en silence.
La nuit vient : l’aquilon d’un vol bruyant s’élance,
Et déchirant la nue, où pesoit enfermé
Cet océan nouveau goutte à goutte formé ;
La nège, au gré des vents, comme une épaisse laine
Voltige à gros flocons, tombe, couvre la plaine,
Déguise la hauteur des chênes, des ormeaux,
Et confond les vallons, les chemins, les hameaux ;
Les monts ont disparu : leur vaste amphithéâtre
S’abbaisse ; tout a pris un vêtement d’albâtre.

Ah ! Plaignons le mortel, qui, dans ce triste jour,
Contraint de s’avancer vers un lointain séjour,
Ne reconnoissant plus ni côteau, ni prairie,
Traîne un pas égaré sur la nège qui crie.
Ses piés en vains efforts consument leur vigueur.
Haletant, il s’arrête ; et vaincu de langueur,
Maudit une contrée, où le regard n’embrasse
Qu’un informe désert sans hospice et sans trace.
Bientôt le jour plus foible ajoute à ses ennuis :
L’ombre fond sur la terre, et la reine des nuits
A voilé son croissant de nuages funèbres.
Que fera-t-il alors perdu dans les ténèbres,
Craignant à chaque pas et les marais trompeurs
Et les étangs couverts d’un amas de vapeurs ?
Le coeur serré d’angoisse, il s’étend sur la plaine ;
Là, sans couleur, sans force et presque sans haleine,
Il murmure tout bas, dans un long désespoir,
Le tendre nom d’un fils qu’il ne doit plus revoir.
Mais c’en est fait. Déjà ses esprits s’engourdissent ;
Son sang ne coule plus ; ses membres se roidissent ;
Ses yeux las de s’ouvrir se ferment ; il s’endort :
Invincible sommeil qui s’unit à la mort.

Vous les soupçonnez peu ces rigueurs de l’année,
Vous, riches citadins ; vous troupe fortunée,
Qui, vous environnant de plaisirs et de jeux,
Insultez de l’hyver le génie orageux ;
Une douce chaleur de vos foyers l’exile,
Quand sous ces mêmes toits Flore trouve un asyle :
Là, vous réalisez la fable de ces tems,
Où l’homme jouissoit d’un éternel printems.
Eh ! Qui sous des lambris ornés par la peinture
De sîtes, où se plaît la riante nature ;
De côteaux verdoyans, de ruisseaux argentés,
D’aurores, de beaux soirs dans les eaux répétés,
Et du jour que la nuit emprunte à chaque étoile,
Jour charmant, par Vernet embelli sur la toile ;
Répondez ; qui de vous dans ces sallons dorés,
Où de fleurs, de rubis, de perles décorés,
Au doux bruit des concerts dont s’anime la danse,
La jeunesse et l’amour folâtrent en cadence,
Qui de vous oseroit, sybarite orgueilleux,
Des rigueurs de l’hyver faire un reproche aux dieux ?
Dans le sein du bonheur le murmure est un crime.

Qu’il se plaigne celui que l’indigence opprime ;
C’est pour lui que l’hyver est âpre et sans pitié.
Sous un toît ruineux qui les couvre à moitié,
Voyez transir de froid, languir sans nourriture
Ceux, qui dans vos sillons fécondoient la nature.
Et, quoi donc ! Leurs sueurs, les efforts de leurs bras
N’auroient-ils fait de vous que de riches ingrats ?
Non, non : par des bienfaits montrez-vous équitables,
Que l’or prenne en vos mains des aîles charitables,
Qu’il cherche l’indigent, et que dans vos hameaux,
L’appellant au travail, il soulage ses maux.
N’aguères je voyois près des champs, ou l’aronde
Et l’Aisne au sein de l’Oise engloutissent leur onde,
Je voyois un mortel, qui, sage autant qu’humain,
Voulant qu’à ses labeurs le pauvre dût son pain,
Tous les ans, quand le nord déchaîne sa furie,
D’un peuple de vassaux soudoyoit l’industrie.
Femmes, vieillards, enfans, vous tous, qui lui devez
Et vos champs agrandis et vos toîts relevés,
Dites-nous quels travaux remplissoient vos journées.
En des plaines, jadis par Cérès couronnées,
Alliez-vous, pour loger ce maître fastueux,
Creuser les fondemens d’un château somptueux ?
Avez-vous enfermé dans un parc inutile
Un beau sol, que Bacchus pouvoit rendre fertile ?
Ah ! Chez lui rien n’insulte à votre pauvreté.
Ami dans tous ses goûts de la simplicité,
Il ennoblit son or par d’utiles ouvrages.
Les chemins applanis et riches en ombrages
Des remparts de Compiègne ont rapproché vos fruits.
Vos portiques sacrés que l’âge avoient détruits,
Doux asyle, où cent fois votre ame désolée
Sous les regards d’un dieu respira consolée ;
Eh bien ! à vos soupirs ils sont encor ouverts.
Cette onde, qui jadis par cent détours divers
Sur un terrein fangeux se traînoit incertaine,
Ruisseau pur maintenant et limpide fontaine,
Là, pour vous d’une grotte habite le repos ;
Ici, dans un canal roule pour vos troupeaux.
Sans lui ce marécage, autrefois le repaire,
Où se gonfloit l’insecte, où siffloit la vipère,
Autour de vous encor infecteroit les airs.

Sans lui ne croîtroit point sur vos côteaux déserts
L’arbre, qui transplanté du neustrien rivage,
De ses fruits, sous la meule, épanche un doux breuvage.
Et toi, de qui César hérissa la hauteur
D’un camp, où reposoit son aigle observateur ;
Toi, qui né dans la mer, à l’homme qui te fouille
Étales des requins la tranchante dépouille,
Mont qui me fus si cher, retraite, où les neuf soeurs
Me firent savourer leurs premières douceurs,
Dis-nous comment enfin dompté par la culture,
Aux troupeaux étonnés tu donnes leur pâture ;
Cependant qu’en berceau des ormes arrondis
Repoussent le soleil, qui te brûloit jadis !
Que tous ces monumens, respectés d’âge en âge,
Rendent à leur auteur un sacré témoignage ;
Et qu’en les contemplant, le vieillard attendri
Ajoute : ils m’ont donné le pain qui m’a nourri ?
Mais tandis que la nège au fond d’une chaumière
Relegue l’indigent ; le char de la lumière
Roule, touche au solstice, et la plus longue nuit
Pour douze mois entiers sous la terre s’enfuit.
Une pâle lueur a blanchi l’empyrée.
Enfant du ciel, rens-nous ta présence sacrée ;
Dévoile à nos regards ton front resplendissant,
Parois, et fois le dieu du monde renaissant !
Il a paru : déjà, les mains vers lui levées,
Par mille cris joyeux, les nations sauvées,
Du pié de leurs autels le saluant en choeur,
De la jalouse nuit le proclament vainqueur.
Triomphe du soleil, triomphe mémorable,
Qui, dans tous les climats embelli par la fable,
Et sous des noms divers d’âge en âge porté,
Par l’Europe et l’Asie est encore chanté !
Le Nil du roi des ans attestoit la puissance,
Alorsque d’Harpocrate il fêtoit la naissance.
Oromaze, ce dieu des antiques persans,
Ce dieu, père du bien, lui, dont les traits perçans,
De la nuit et du mal vainquirent le génie,
Et qui dans l’univers rétablit l’harmonie,
Ne figuroit-il point le monarque du jour,
Réparateur des maux du terrestre séjour ?
Et ce maître des dieu, dont le bruyant tonnerre
Châtia la fureur des enfans de la terre,
Quand ces Titans, au jour de leur rébellion,
Sur l’Olympe entassoient l’Ossa, le Pélion,
N’est-il pas du soleil l’histoire symbolique ?
Et nous-même, aujourd’hui que de sa route oblique
Cet astre atteint la borne et revient sur ses pas,
Dans les remparts de Dreux ne célébrons-nous pas
L’époque solemnelle, où de l’humaine race
Le soleil qui renaît console la disgrâce ?
Que nous dit en effet ce long cri répété,
Dont tous les drusiens remplissent leur cité ?
Qu’enseignent les brandons, qui, dans cette nuit sainte,
De la place publique ont éclairé l’enceinte,
Et qui brûlent enfin dressés sur les tombeaux ?
Ainsi qu’aux premiers tems, tous ces mille flambeaux
Des rayons du soleil sont le mystique emblême.
Ces cris proclament l’heure, où l’Hercule suprême,
De son courage éteint ressuscitant l’ardeur,
Va rendre aux jours plus longs leur première splendeur.

C’est par des feux encor, où se peint son image,
Qu’il reçoit du Cathay le solemnel hommage.
Dès qu’arrive l’année à sa dernière nuit,
De lampes, de flambeaux tout l’empire reluit ;
Et de chaque maison la porte illuminée
Se pare de ces mots : au vrai roi de l’année.
Ce roi n’ose pourtant, jeune et trop foible encor,
Environner son front de tous ses rayons d’or :
De quelques traits de flamme à peine il se couronne.
Vingt rivaux en fureur lui disputent son trône ;
L’enfant du nord l’assiège, et le démon des eaux
Menace d’abymer la terre sous les flots.
Il s’avance ; il descend chargé d’une urne immense :
Sa main l’ouvre à grand bruit ; et sur l’an, qui commence,
Renversant tout entier ce dépôt des hyvers,
L’ouragan pluvieux en couvre l’univers.
Le ciel fond en torrent, qui du haut des montagnes
Écumant et grondant s’étend sur les campagnes :
Tout est mer. Dans son sein les arbres entassés
Et les hameaux détruits et les ponts fracassés
Roulent, et des humains emportés par l’orage,
Brisant les corps meurtris, avancent leur naufrage.

Dieux ! Nous ramenez-vous à ces tems désastreux,
Où, jaloux l’un de l’autre et se heurtant entr’eux,
Les élémens, conduits par un fougueux génie,
De la terre et des cieux rompirent l’harmonie,
Firent craindre au soleil une éternelle nuit,
Et déchaînant les eaux sur le globe détruit,
De l’homme en cent climats engloutirent la race ?
Hélas ! Au seul penser de ces jours de disgrâce,
Mon sang glacé s’arrête ; et ma lyre sans voix,
De larmes arrosée, échappe de mes doigts.
Muse ! Reprens ta lyre ; et sans vouloir connoître
De quel pouvoir secret ce désordre a pu naître,
Graves-en dans tes vers la ténébreuse horreur :
Dis comment de son lit l’océan en fureur
S’élança sur la terre, et la couvrit d’abymes.
Des monts voisins du ciel il inonde les cîmes,
Les fracasse ; et s’ouvrant un passage en leur sein,
Pour de nouvelles mers creuse un nouveau bassin.

Bientôt à l’océan, qui roule sans rivages ;
Tous les torrens des airs unissent leurs ravages,
La terre tonne, tremble ; et ses flancs caverneux
Sans cesse vomissant des flots bitumineux,
L’homme égaré, perdu dans le brouillard de soufre
Que ces fleuves de lave exhaloient de leur gouffre,
L’homme, de mille morts à la fois investi,
Dans les feux, dans les eaux périssoit englouti.
Par dégrés cependant l’onde moins courroucée
Décroit, et dans son lit rentre enfin repoussée.
La flamme des volcans s’assoupit et s’endort.
Mais hélas ! Des humains échappés à la mort
Quel fut le désespoir, quand, du haut des montagnes,
Jettant un regard sombre au loin sur les campagnes,
Ils virent leur séjour, autrefois si riant,
Désert, et dans le deuil d’un silence effrayant,
N’offrant de toutes parts qu’un long marais immonde,
Où sembloit expirer l’astre pâle du monde ?
Nous peindrons-nous jamais leur état douloureux,
Nous, qui chéris du ciel coulons des jours heureux,
Nous, qui formons à peine un desir inutile,
Qui moissonnons en paix une terre fertile,
Et pour qui le soleil, de la nature ami,
Marche d’un pas égal dans sa route affermi ?
C’est en vain que sur nous l’hyver fond en orages ;
Ses bienfaits ont bientôt réparé les naufrages.
Oui, mortel : quand ce dieu, signalant son pouvoir,
Des trésors de la pluie ouvre le réservoir,
Cette chûte des eaux est encor salutaire :
Le fleuve s’en nourrit pour féconder la terre.
Au tems de ma jeunesse, avant qu’à ma raison
L’étude eût découvert un plus vaste horison,
Tandis que du soleil la lumière voilée
Laissoit regner la nuit sous la voûte étoilée,
Et tandis que la pluie enfloit de ses torrens
Les fleuves écumeux et sur la plaine errants,
Librement prisonnier d’un réduit taciturne,
Je veillois aux lueurs d’une lampe nocturne ;
J’interrogeois l’auteur de tous ces mouvemens,
Je demandois raison du choc des élémens ;
Pourquoi l’année expire, et l’éther nous assiége
De frimats, de brouillards et de pluie et de nège ;
Pourquoi ces aquilons, cortège des hyvers,
Et ces monts, dans la chaîne embrasse l’univers.
Lassé de ces pensers où mon esprit se plonge,
Je m’endors : tout-à-coup enfanté par un songe,
Un colosse imposant apparut à mes yeux :
Couronné de soleils, son front touchoit aux cieux ;
Les saisons l’entouroient : par des routes certaines,
Serpentoient dans son corps les lacs et les fontaines ;
Sept couleurs à la fois nuançoient ses habits ;
Son sceptre brilloit d’or, de saphirs, de rubis ;
Un long voile azuré lui servoit de ceinture :
Mon oeil, à tous ces traits, reconnut la nature.
« Ton esprit, me dit-elle, ami des vérités,
Demande à quel dessein, loin des mers emportés,
S’étendent ces frimats, ces brouillards et ces nues.
Suis-moi ; je vais t’ouvrir des routes inconnues :
Mes secrets aujourd’hui te seront dévoilés. »
Elle dit ; et soudain aux lambris étoilés,
Sur les aîles des vents la déesse m’enlève.
C’étoit l’heure propice, où le soleil se lève.
Alors la déité, par un charme puissant,
Arma mes foibles yeux d’un regard plus perçant ;
Et dans tous ses climats me présentant la terre :
« Contemple tous les monts que ta planète enserre,
Dit-elle ; vois ces rocs qu’Annibal a franchis,
Les sommets riphéens de longs frimats blanchis ;
Le Taurus, au Tartare opposant des barrières ;
Le Caucase berceau de cent hordes guerrières ;
L’Olympe, d’où la fable a fait tonner ses dieux ;
L’Atlas, qu’elle chargeoit de tout le poids des cieux ;
L’Ararat, où cent fois, d’une antique disgrâce,
Le crédule vulgaire alla chercher la trace ;
Les rochers de Goyame et les monts de luna ;
Les Andes, que l’Europe à son sceptre enchaîna ;
Enfin du globe entier les hauteurs primitives :
Eh bien ! Sans ces hauteurs, les ondes fugitives,
Qui, par mille détours, de climats en climats,
Portent aux nations le tribut des frimats,
Jamais dans un canal, en fleuve rassemblées,
N’auroient donné la vie aux stériles vallées.
Ce globe n’eut offert que marais croupissans :
Mais j’élevai les monts, je fis souffler les vents,
Et les vents, au sommet des montagnes chenues,
Précipitent l’amas des vapeurs et des nues.
Là, leurs flots, chaque jour goutte-à-goutte filtrés,
De tuyaux en tuyaux distillent épurés.
Voudrois-tu contempler dans le flanc des collines
Le pénible travail de ces eaux crystallines ?
Tourne les yeux : ces monts t’ouvrent leur vaste sein.
Vois ici le rocher s’élargir en bassin ;
Là, prendre d’un syphon la forme recourbée ;
Plus bas, céder la place à la craie imbibée,
À des couches d’argile, aux sables, aux cailloux :
L’onde y coule, y serpente en filets purs et doux,
Bientôt au pié du mont, sur le gravier reçue,
Vers la clarté du jour elle cherche une issue.
Ses liens sont brisés ; mais, humble à son berceau,
Le fleuve encor timide est à peine un ruisseau ;
Cependant roi futur, il roule ; et sa puissance
Déjà fait oublier son obscure naissance.
Admire-les, ces rois de l’humide élément ;
Le Gange, où l’Indien plongé stupidement
En l’honneur de Brama voudroit finir sa course ;
L’Yrtis impatient de voir les feux de l’Ourse ;
Le Volga, vaste mer tributaire des czars ;
La Seine, dont les bords embellis par les arts
Font envier leur gloire à la fière Tamise ;
La Saône, tendre amante à son époux soumise ;
Le Rhône cet époux, qui l’entraîne en grondant,
Et brise sur des rocs son orgueil imprudent ;
La Loire, dont les eaux, captives sans contrainte,
Se creusent chaque année un nouveau labyrinthe ;
Le Tibre, qui, déchu de ses antiques droits,
Veut quelquefois encor intimider les rois ;
Le Nil, le Sénégal et l’immense Amazone,
Trompant l’aridité de la brûlante zone ;
Tous, fleuves bienfaiteurs, que doit cet univers
Aux nuages, aux vents, sombres fils des hyvers. »
Elle dit ; je m’éveille ; et ma raison plus sage,
De l’hyver, tous les ans, a béni le passage.

Rate this poem: 

Reviews

No reviews yet.