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Les chats d'ébène et d'on ont traversé le soir.

«Au-dessus de la vie incertaine, dans l'air
Non remué jamais de la pensée abstraite,
Point immatériel, inaccessible et clair,
Élée avait, jusques au faîte,
Hissé le songe et l'unité d'un Dieu.
La matière? qui donc y jettera les sondes?
L'être immense, absolu, total,

Emplit de son unique éternité les mondes.
Seuls les sages qui regardent les cieux
Ont défini ce feu mental
Dont le rayonnement
Est plus clair et plus haut que n'est le firmament.»

Les chats d'ébéne et d'or ont traversé le soir,
Avec des bruits stridents de vrille et de heurtoir.

«Comme des prismes d'or ou de pures essences,
Brillant là-haut sur l'Ocean des apparences
Et leurs ombres vers l'infini échafaudées,
Tu fis régner, Platon, tes lucides idées.
Le monde inconsistant et bref du Devenir
S'en réclamait pour tout à coup naître et finir
Et se perdre dans le chaos des choses
Et des incessantes métamorphoses.»

Les chats d'ébene et d'or ont traversé le soir
Avec des bruits stridents de vrille et de heurtoir
Et des griffes en l'air, vers les étoiles.

«Tact, goût, vue, ouïe, odorat,
Large, puissant, solide et clair quinqumvirat,
Les sens règnent sur la vie ample et dispersée
Pour observer les faits et servir la pensée.
La mémoire compare, agence et réunit.
L'idée éclate—et la certitude dressée,
En mât d'orgueil sur des voiliers de nuit,
Monte à l'assaut des mers des univers.
Et doux rêveur et front ravagé de science,
Épicure darde ces vérités,
A travers des siècles de patience,
Vers notre ivresse d'absurdités.»

Les chats d'ébène et d'or ont traversé le soir,
Avec des bruits stridents de vrille et de heurtoir
Et leurs griffes ont déchiré les voiles
Qui nous cachaient les tranquilles étoiles.

«Reposez-vous d'errer, pauvres cerveaux antiques,
Dans l'église du dogme et de l'extase, ici,
Sans qu'un sophisme éclate en la pensée, ainsi

Que sur des lins pieux les ors asiatiques.
Les paradis chrétiens, verrières de splendeur,
Brûlent, de leurs feux clairs, les murailles nocturnes
Laissez croire les yeux; laissez pleurer les urnes
Divinement de la croyance sur le cœur;
La neigeuse raison gèle le doux mystère
Du bon Jésus pasteur qui s'en revient, là-bas,
Par les jardins, avec ses pauvres agneaux las;
Laissez croire l'amour et la raison se taire.»

Les chats d'ébène et d'or ont traversé le soir
Avec des bruits de vis, de vrille et de heurtoir,
Les chats ailés d'un vent de flamme
Ont traversé, de part en part, mon âme.

«Penser, même douter que l'on pense, c'est être.
Première! au jour intérieur, cette fenêtre.
L'idée éclot innée, elle se scrute, insiste:
L'infini se conçoit: donc il existe
Et Dieu ne trompe pas l'homme sur l'univers.»

Les chats d'ébene en flamme
Ont traverse de part en part, mon âme,
Comme des rages de vent noir
Et des tempêtes dans le soir.

«La raison invariable et fatale,
Debout, dans le cerveau, à toutes ses issues,
Préside à l'expérience brutale
Et la fixe d'après des formes préconçues.
Elle se scrute et se juge préexistante
Aux sens et à l'entendement.
Elle a sa vie et sa splendeur patente,
Elle est la reine, et vers son étincellement
Marchent les critiques et les philosophies.»

Les chats d'ébène et d'or ont traversé le soir,
Avec des cris de vis et de heurtoir.
Ils ont griffé mon cœur et le miroir
De mes yeux clairs vers les étoiles;
Ils ont mordu, jusques au sang,
Mon rêve atrocement agonisant.

«Et, fleur dernière en la forêt des êtres,
Apres des millions d'essais épars,
En semailles vers les hasards,
L'homme se greffe enfin sur ses humbles ancêtres
Et, lent, s'épanouit en suprêmes cerveaux.
Matériel pourtant et de même substance
Que l'univers qui s'ignore dans l'existence
Et se roule, par l'infini des renouveaux,
Dites, vers on ne sait quel glacial tombeau?
Et des mondes encore et puis des mondes
Tournent autour de lui leurs mutuels flambeaux,
Et l'homme est l'égaré de leurs routes profondes
Et le perdu de leur immensité.»

Les chats d'ébène ont traversé le soir,
Lorsque la peur du vieux mystère
Battait ma tête réfractaire
Et se glissait dans mon cœur noir.
Oh! ces heures, ces heures
Lorsque je crie et que je pleure
Et que mes yeux sont fous et regardent encor
Et regardent toujours les chats d'ébène et d'or.
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