Doute

Tendre nature, nature heureuse, où tant
de désirs se recherchent et s'entrecroisent,
indifférente, et pourtant base
des consentements.

nature trop pleine où se détruit et déchire
ce qui s'exalte trop tôt,
où de la rivalité du délicieux et du pire
naît un semblant de repos,

nature, tueuse par son excès, créatrice,
toujours extasiée,
qui réchauffes et qui consumes le vice
sur un même brasier:

Dis-moi, silencieuse, ô dis-moi, suis-je
comme un instant de tes fruits?

A le Brun

Qu'un autre soit jaloux d'illustrer sa mémoire;
Moi, j'ai besoin d'aimer; qu'ai-je besoin de gloire,
S'il faut, pour obtenir ses regards complaisants,
A l'ennui de l'étude immoler mes beaux ans;
S'il faut, toujours errant, sans lien, sans maîtresse,
Étouffer dans mon cœur la voix de la jeunesse,
Et sur un lit oisif, consumé de langueur,
D'une nuit solitaire accuser la longueur?
Aux sommets où Phébus a choisi sa retraite,
Enfant, je n'allai point me réveiller poète;
Mon cœur, loin du Permesse, a connu dans un jour

Derniere Feuille, La

Dans la forêt chauve et rouillée
Il ne reste plus au rameau
Qu'une pauvre feuille oubliée,
Rien qu'une feuille et qu'un oiseau.

Il ne reste plus dans mon âme
Qu'un seul amour pour y chanter,
Mais le vent d'automne qui brame
Ne permet pas de l'écouter;

L'oiseau s'en va, la feuille tombe,
L'amour s'éteint, car c'est l'hiver.
Petit oiseau, viens sur ma tombe
Chanter, quand l'arbre sera vert!

Apres Le Bal

Adieu, puisqu'il le faut, adieu, belle nuit blanche,
Nuit d'argent, plus sereine et plus douce qu'un jour!
Ton page noir est là, qui, le poing sur la hanche,
Tient ton cheval en bride et t'attend dans la cour.

Aurora, dans le ciel que brunissaient tes voiles,
Entr'ouvre ses rideaux avec ses doigts rosés;
O nuit, sous ton manteau tout parsemé d'étoiles,
Cache tes bras de nacre au vent froid exposés.

Le bal s'en va finir. Renouez, heures brunes,
Sur vos fronts parfumés vos longs cheveux de jais.

Son rêve fastueux, seul, lui donnait des fêtes

Son rêve fastueux, seul, lui donnait des fêtes ;
Il avait son orgueil intime pour ami.
Grave, pour dérider un peu son front blêmi,
Il regardait ses fleurs et caressait ses bêtes.

Soumis à ses grands yeux étranges de prophète,
De beaux Désirs pareils à des tigres parmi
Les jungles de ses sens s'étiraient à demi
Il vivait seul avec son âme pour conquête.

Dans le palais silencieux qu'était son cœur,
Des femmes, que gardait secrètes son humeur,
Languissaient, comme des sultanes, près des urnes.

Rose, Le

Je connais tous les tons de la gamme du rose,
Laque, pourpre, carmin, cinabre et vermillon.
Je sais ton incarnat, aile du papillon,
Et les teintes que prend la pudeur de la rose.

A Grenade, des bords que le Xénil arrose
J'ai, sur le Mulhacen lamé de blanc paillon,
Vu la neige rosir sous le dernier rayon
Que l'astre, en se couchant, comme un baiser pose.

J'ai vu l'aurore mettre un doux reflet pourpré
Aux Vénus soulevant le voile qui leur pèse,
Et surpris dans les bois la rougeur de la fraise,

Ballade

Quand à peine un nuage,
Flocon de laine, nage
Dans les champs du ciel bleu,
Et que la moisson mûre,
Sans vagues ni murmure,
Dort sous le ciel en feu;

Quand les couleuvres souples
Se promènent par couples
Dans les fossés taris;
Quand les grenouilles vertes,
Par les roseaux couvertes,
Troublent l'air de leurs cris;

Aux fentes des murailles
Quand luisent les écailles
Et les yeux du lézard,
Et que les taupes fouillent
Les prés, où s'agenouillent
Les grands bœufs à l'écart;

Clemence

Un monument sur ta cendre chérie
Ne pèse pas,
Pauvre Clémence, à ton matin flétrie
Par le trépas.

Tu dors sans faste, au pied de la colline,
Au dernier rang,
Et sur ta fosse un saule pâle incline
Son front pleurant.

Ton nom déjà par la nuit et la neige
Est effacé
Sur le bois noir de la croix qui protège
Ton lit glacé.

Mais l'amitié qui se souvient, fidèle,
Avec des fleurs,
Vient, à l'endroit seulement connu d'elle,
Verser des pleurs.

Guitare

Gastibelza, l'homme à la carabine,
Chantait ainsi;
«Quelqu'un a-t-il connu doña Sabine?
Quelqu'un d'ici?
Dansez, chantez, villageois! la nuit gagne
Le mont Falù
—Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou!

»Quelqu'un de vous a-t-il connu Sabine,
Ma señora?
Sa mère était la vieille maugrabine
D'Antequera
Qui chaque nuit criait dans la Tour-Magne
Comme un hibou…—
Le vent qui vient à travers la montagne
Me rendra fou.

»Dansez, chantez! Des biens que l'heure envoie
Il faut user.

Trundailles

Dites! jadis, ripaillait-on
Dans les bouges et dans les fermes.
Les gars avaient les reins plus fermes,
Et les garces plus beau téton.

Alors, en de longues tablées,
Autour des mets grossiers, mais bons,
Autour des lards et des jambons,
Et des mangeailles rassemblées,

De grands buveurs compacts et forts
Riaient, chantaient, gueulaient à boire,
Bâfraient à casser leur mâchoire,
Hurlaient à réveiller les morts.

Chacun avait, à droite à gauche,
Chair de femelle à savourer,
Chair grasse, prête à se cabrer

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