La Grace

A Armand Silvestre.

Un cachot. Une femme à genoux, en prière.
Une tête de mort est gisante par terre,
Et parle, d'un ton aigre et douloureux aussi.
D'une lampe au plafond tombe un rayon transi.

«Dame Reine...--Encor toi, Satan!--Madame Reine...
--«O Seigneur, faites mon oreille assez sereine
Pour ouïr sans l'écouter ce que dit le Malin!»
--«Ah! ce fut un vaillant et galant châtelain
Que votre époux! Toujours en guerre ou bien en fête;
(Hélas! j'en puis parler puisque je suis sa tête),

Crimen Amoris

A Villiers de l'Isle-Adam.

Dans un palais, soie et or, dans Ecbatane,
De beaux démons, des satans adolescents,
Au son d'une musique mahométane
Font litière aux Sept Péchés de leurs cinq sens.

C'est la fête aux Sept Péchés: ô qu'elle est belle!
Tous les Désirs rayonnaient en feux brutaux;
Les Appétits, pages prompts que l'on harcèle,
Promenaient des vins roses dans des cristaux.

Des danses sur des rythmes d'épithalames
Bien doucement se pâmaient en longs sanglots

Prologue

Ce sont choses crépusculaires.
Des visions de fui de nuit.
O Vérité, tu les éclaires
Seulement d'une aube qui luit

Si pâle dans l'ombre abhorrée
Qu'on doute encore par instants
Si c'est la lune qui les crée
Sous l'horreur des rameaux flottants,

Ou si ces fantômes moroses
Vont tout à l'heure prendre corps
Et se mêler au choeur des choses
Dans les harmonieux décors

Du soleil et de la nature
Doux à l'homme et proclamant Dieu
Pour l'extase de l'hymne pure
Jusqu'à la douceur du ciel bleu.

La Soupe Du Soir

A J.-K. Huysmans.

Il fait nuit dans la chambre étroite et froide où l'homme
Vient de rentrer, couvert de neige, en blouse, et comme
Depuis trois jours il n'a pas prononcé deux mots,
La femme a peur et fait des signes aux marmots.

Un seul lit, un bahut disloqué, quatre chaises,
Des rideaux jadis blancs conchiés des punaises,
Une table qui va s'écroulant d'un côté,--
Le tout navrant avec un air de saleté.

L'homme, grand front, grands yeux pleins d'une sombre flamme,

L'angelus Du Matin

A Léon Vanier.

Fauve avec des tons d'écarlate,
Une aurore de fin d'été
Tempétueusement éclate
A l'horizon ensanglanté.

La nuit rêveuse, bleue et bonne,
Pâlit, scintille et fond en l'air,
Et l'ouest dans l'ombre qui frissonne
Se teinte au bord de rose clair.

La plaine brille au loin et fume.
Un oblique rayon venu
Du soleil surgissant allume
Le fleuve comme un sabre nu.

Le bruit des choses réveillées
Se marie aux brouillards légers
Que les herbes et les feuillées

La Pucelle

A Robert Caze.

Quand déjà pétillait et flambait le bûcher,
Jeanne qu'assourdissait le chant brutal des prêtres,
Sous tous ces yeux dardés de toutes ces fenêtres
Sentit frémir sa chair et son âme broncher.

Et semblable aux agneaux que revend au boucher
Le pâtour qui s'en va sifflant des airs champêtres,
Elle considéra les choses et les êtres
Et trouva son seigneur bien ingrat et léger.

«C'est mal, gentil Bâtard, doux Charles, bon Xaintrailles,
De laisser les Anglais faire ces funérailles

Les Uns Et Les Autres

COMÉDIE DÉDIÉE A

Théodore de Banville.

PERSONNAGES:


MYRTIL
SYLVANDRE
ROSALINDE
CHLORIS
MEZZETIN
GORYDON
AMINTE
BERGERS, MASQUES.


La scène se passe dans un parc de Wateau, vers une fin
d'après-midi d'été.

Une nombreuse compagnie d'hommes et de femmes est
groupée, en de nonchalantes attitudes, autour d'un chanteur
costumé en Mezzetin, qui s'accompagne doucement sur une
mandoline.




Le Squelette

A Albert Mérat.

Deux reîtres saouls, courant les champs, virent parmi
La fange d'un fossé profond une carcasse
Humaine dont la faim torve d'un loup fugace
Venait de disloquer l'ossature à demi.

La tête, intacte, avait ce rictus ennemi
Qui nous attriste, nous énerve et nous agace.
Or, peu mystiques, nos capitaines Fracasse
Songèrent (John Falstaff lui-même en eût frémi)

Qu'ils avaient bu, que tout vin bu filtre et s'égoutte,
Et qu'en outre ce mort avec son chef béant

Jadis

PROLOGUE

En route, mauvaise troupe!
Partez, mes enfants perdus!
Ces loisirs vous étaient dus!
La Chimère tend sa croupe.

Partez, grimpés sur son dos,
Comme essaime un vol de rêves
D'un malade dans les brèves
Fleurs vagues de ses rideaux.

Ma main tiède qui s'agite
Faible encore, mais enfin
Sans fièvre, et qui ne palpite
Plus que d'un effort divin,

Ma main vous bénit, petites
Mouches de mes soleils noirs
Et de mes nuits blanches. Vites,
Partez, petits désespoirs,

C'est La Fête Du Blé, C'est La Fête Du Pain.

C'est la fête du blé, c'est la fête du pain
Aux chers lieux d'autrefois revus après ces choses!
Tout bruit, la nature et l'homme, dans un bain
De lumière si blanc que les ombres sont roses.

L'or des pailles s'effondre au vol siffleur des faux
Dont l'éclair plonge, et va luire, et se réverbère.
La plaine, tout au loin couverte de travaux,
Change de face à chaque instant, gaie et sévère.

Tout halète, tout n'est qu'effort et mouvement
Sous le soleil, tranquille auteur des moissons mûres,
Et qui travaille encore imperturbablement

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