Ane, L' - Part 1

Un âne descendait au galop la science.
—Quel est ton nom? dit Kant.—Mon nom est Patience,
Dit l'âne. Oui, c'est mon nom, et je l'ai mérité,
Car je viens de ce faîte où l'homme est seul monté
Et qu'il nomme savoir, calcul, raison, doctrine.
Kant, porter le licou sanglé sur la poitrine;
Avoir dès son bas âge, âpre et morne combat,
L'os de l'échine usé par la boucle du bât;
Subir, de l'aube au soir, la secousse électrique
Du nerf de bœuf parfois relayé par la trique;
Être, tremblant de froid ou de chaud étouffant,

Ane, L' - 2: Coup d'oeil général

L'orateur, fût-il âne, essoufflé, se repose;
Patience reprit, ayant fait une pause:

Rhéteurs, quel-mot divin faites-vous épeler?
Dites, qu'enseignez-vous? que venez-vous parler
D'idéal, de réel, et nous rompre la tête?
Votre réel à vous, c'est la chimère bête,
Ou c'est la loi féroce et dure; ici Baal,
Là Dracon; et l'erreur partout; votre idéal,
C'est quelque faux chef-d'œuvre ou quelque vertu fausse,
C'est un roi qu'en rampant la flatterie exhausse,
Ou c'est un livre pâle ayant pour qualité

Ane, L' - 3: Âne Patience entre dans le détail, L

L'âne à ce qu'il disait rêva dans le silence,
Comme on suit du regard une pierre qu'on lance,
Puis ajouta:
—Serrons de près les questions.
Veux-tu que nous causions et que nous discutions?
Soit.

Quoique le lecteur, à Sainte-Geneviève,
Trouve peu d'os à moelle et peu d'auteurs à séve;
Quoique, à l'Escurial, où Philippe pria,
Le plafond sépulcral de la Libraria,
Couvrant dossiers, cahiers, brochures, fascicules,
Ressemble à de la nuit noyant des crépuscules;
Quoique Oxford la savante ait, sous ses hauts châssis,

Ane, L' - 5: Conduite de l'homme vis-à-vis des enfants

Et l'âne s'écria:—Pauvres fous! Dieu vous livre
L'enfant, du paradis des anges encore ivre;
Vite, vous m'empoignez ce marmot radieux,
Ayant trop de clarté, trop d'oreilles, trop d'yeux,
Et vous me le fourrez dans un ténébreux cloître;
On lui colle un gros livre au menton comme un goître;
Et vingt noirs grimauds font dégringoler des cieux,
O douleur! ce charmant petit esprit joyeux;
On le tire, on le tord, on l'allonge, on le tanne,
Tantôt en uniforme, et tantôt en soutane;
Un beau jour Trissotin l'examine, un préfet

Ane, L' - 7: Conduite de l'homme vis-à-vis de la création

L'homme, orgueil titanique et raison puérile!
Montre-moi ce que fait ce travailleur stérile,
Et montre-moi surtout ce qui reste de lui.
Depuis Ève, il s'est moins aidé qu'il ne s'est nui.
Dis, que vois-tu de beau, de grand, de bon, de tendre,
De sublime, aussi loin que ton œil peut s'étendre
Dans la direction où marche ce boiteux?
N'est-il pas lamentable et n'est-il pas honteux
Que cet être, niant ce que font ses génies,
Accablant les Fulton et les Watt d'ironies,
Ayant un globe à lui, n'en sache pas l'emploi,

Ane, L' - 10: Réaction de la création sur l'homme

L'âne fit un silence, et, murmurant:—Voilà!
C'est ainsi. Je n'y puis que faire!—il grommela:

Se contredire un peu, Kant, c'est le droit des gloses;
Quand on veut tout peser, on rencontre des choses
Qui semblent l'opposé de ce qu'on avait dit;
Non aux basques de Oui toujours se suspendit,
Riant de la logique et narguant les méthodes;
Qui tourne autour d'un monde arrive aux antipodes;
Kant, je n'userai point de ce droit; seulement
Après t'avoir montré les hommes blasphémant,
Niant, méconnaissant et méprisant la Chose,

Ane, L' - Sécurité du penseur

O Kant, l'âne est un âne et Kant n'est qu'un esprit.

Nul n'a jusqu'à présent, hors Socrate et le Christ,
Dans l'abîme où le fait infini se consomme,
Compris l'ascension ténébreuse de l'homme.
A force de songer ton œil s'est éclairci;
Plane plus haut encore, et tu sauras ceci:

Tout marche au but; tout sert; il ne faut pas maudire.
Le bleu sort de la brume et le mieux sort du pire;
Pas un nuage n'est au hasard répandu;
Pas un pli du rideau du temple n'est perdu;
L'éternelle splendeur lentement se dévoile.

Ballade des Dames du Temps Jadis

Dites moi ou, n'en quel pays
Est Flora la belle Romaine;
Archipiade ne Thaïs
Qui fut sa cousine germaine;
Echo, parlant quand bruit on mene
Dessus riviere ou sus étang,
Qui beauté or trop plus qu'humaine?
Mais ou sont les neiges d'antan?

Ou est la tres sage Heloïs,
Pour qui fut châtré et puis moine
Pierre Esbaillart a Saint Denis?
Pour son amour ot cette essoine
Semblablement ou est la roine
Qui commanda que Buridan
Fût jeté en un sac en Seine?
Mais ou sont les neiges d'antan?

Ballade des Seigneurs du Temps Jadis

Qui plus, ou est le tiers Calixte,
Dernier decedé de ce nom,
Qui quatre ans tint le papaliste?
Alphonse le roi d'Aragon,
Le gracieux duc de Bourbon,
Et Artus le duc de Bretagne,
Et Charles septieme le bon?
Mais ou est le preux Charlemagne?

Semblablement, le roi Scotiste
Qui demi face ot, ce dit on,
Vermeille comme une amathiste
Depuis le front jusqu'au menton?
Le roi de Chypre de renom,
Helas! et le bon roi d'Espagne
Duquel je ne sais pas le nom?
Mais ou est le preux Charlemagne?

Ballade en Vieil Langage François

Car, ou soit ly sains apostolles.
D'aubes vestus, d'amys coeffez,
Qui ne saint fors saintes estolles,
Dont par le col prent ly mauffez
De mal talant tout eschauffez,
Aussi bien meurt que cilz servans,
De ceste vie cy bouffez:
Autant en emporte ly vens.

Voire, ou soit de Constantinobles
L'emperieres au poing dorez,
Ou de France ly roy tres nobles
Sur tous autres roys decorez,
Qui pour ly grans Dieux aourez
Bastit eglises et couvens,
S'en son temps il fut honnourez,
Autant en emporte ly vens.

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